Virage aux Idées Claires de Magritte (1), Parc Watterman, Lessines

Le « Virage aux Idées claires de Magritte » est un monument-site dédié à la mémoire de René Magritte et Louis Braille. En effet l’imagier surréaliste Magritte est né à Lessines. Ses rencontres étranges d’objets, traités de façon illusionniste peuvent s’imaginer les yeux fermés. Chez cet artiste, l’idée, le concept domine et l’on peut décrire un tableau de Magritte à un non-voyant tandis que la description des vibrations colorées d’un Turner semble quasi impossible dans ce cas. Voici déjà une complicité qui se forge entre Magritte et Braille qui apporta l’écriture, la culture aux non-voyants.

Et Dutrieux demeure réellement fasciné par cette écriture Braille. Ici, il superpose de façon monumentale en braille les mots «pierre bleue» et «gris nuage». Et les points ainsi obtenus font jaillir dans un alignement rigoureux de hautes pierres brutes, des pierres rudes mais tronquées, à hauteur du regard, et également des dalles. Les hautes pierres épèlent «pierre bleue», les dalles «gris nuage» et lorsque deux points se superposent naissent les pierres tronquées.

«Pierre bleue» et «gris nuage» provoquent donc l’ordonnancement des choses. Les mots invisibles font naître ce cheminement tangible de menhirs, cette longue marelle zen. Mais les non-voyants ne peuvent pas décoder le message car l’ensemble est par trop monumental. L’art est sauf puisque l’énigme subsiste.

On remarque que Daniel Dutrieux favorise les épousailles du langage, de ses glissements de sens, avec la plasticité des reliefs. «Pierre bleue» évoque le bleu aérien du ciel. «Gris nuage» suggère le gris de la roche opaque… et toutes ces allusions se conjuguent dans un tableau intitulé «Les idées claires». Un nuage y surplombe une pierre en lévitation. Alliance dévoilée du terrestre et du céleste. Loi de la gravitation niée par l’image inventée volontairement.

Mais le «virage» lui, rappelle, que l’érosion agit, que les pierres extraites des carrières sont presque noires, qu’elles bleuissent sous l’action du vent, de l’ensoleillement, de la pluie, et qu’elles blanchissent très lentement.

Toute une méditation poétique sous-tend l’œuvre de Daniel Dutrieux, Le virage aux idées claires. Et ce monument-site «se découvre par un parcours, c’est lui qui le fait vivre». L’approche tactile, temporelle, réfute le socle, la statue inaccessible. Et voyants et non-voyants se trouvent; en quelque sorte, à égalité. Toutefois, ils percevront le cheminement autrement. Les uns connaîtront, caresseront les rugosités, les autres vivront une sorte de jeu de cache- cache…

Jo Dustin, 1992
in Routes contemporaines, six itinéraires de l’art contemporain en walloniepubication Espace partenaires

Reportage (NoTélé, Télévision de la Walonie picarde)